RENCONTRES LIBERATRICES TCHUNZA 14, 15 y 16 mars 2019

Parfois, enfermés ici dans nos immeubles, entourés de quatre murs, on sent qu’on a pas d’échappatoire, qu’on est des délaissés du monde, les citadin.es aliéné.es, à jamais déraciné.es. Alors on a décidé de se séparer de la faute et de la peur, on a décidé d’organiser nos colères et de lutter. D’abord, on a vu que fallait arrêter de croire qu’on devait lutter tout.es seul.es: notre premier acte de rébellion a été de regarder autour de nous, se reconnaître les un.es les autres, reconnaître la diversité sans le filtre des drapeaux et des dogmes. Et c’est comme ça, différent.es et étranges, plein.es de couleurs et de saveurs, qu’on a commencé à tisser nos résistances. ça a pas été facile, la rencontre avec et entre nous n’est pas facile; si le chemin de la destruction est long, celui de la création l’est plus encore.

Un jour, notre chemin a croisé celui du processus de la libération des amis nasas du Nord du Cauca -une terre qui sent la canne et le sang. Canne des propriétaires terriens, sang des peuples originaires qui depuis l’arrivée de la conquête donnent leur vie pour défendre la vie de la terre et de tout.es les êtres dont elle a accouché.es. Ils le disent ainsi: « la libération, c’est pas une lutte de nasas pour les nasas; pour que tous les êtres puissent êtres, nous risquons notre être. » Sacrée leçon, non?

Et en voilà une autre de leçon qu’ils nous ont donnée, y a pas longtemps: il faut arrêter de penser trop et se mettre à libérer la terre là où on peut. Wah, on en est resté.es bouches bées.

On a vu comment ils libèrent la terre pour que revienne la vie et pour semer, on les a vu visiter des quartiers de ciment dans des bus chargés d’aliments à partager… « Et on reviendra! » Cette année, ils vont revenir! Alors on s’est réuni.es par ici, et on a décidé d’arrêter de penser et faire que ce soit réel, commencer à germer, comme les petites graines que nous sommes. Nous avons organisé les rencontre libératrices à Tchunza, le vrai nom que nos ancêtres Muiscas ont donné à cette terre de Boyaca. Nous nous sommes rencontré.es à l’université et dans le quartier, dispersant des graines qui se diffusent, grandissent et partagent la parole de nos luttes.

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Le premier jour, nous nous réunissons autour d’une tisane de cannelle à la Universidad Pedagógica y Tecnológica de Colombia pour réaliser une activité qu’on a appelée: Maíz-tizando, l’autonomie alimentaire. Et accompagnés de la pluie et de quelques documentaires, nous partageons la parole de la libération et de la marcha de la Comida. C’est un espace ouvert et collectif qui permet d’atteindre les coeurs.

Bon bien sûr, on a mille complications, pour l’espace, pour le vidéo projecteur, pour la programmation; enfin bon, la dynamique fac dans sa pure grande expression! Et pourtant, beaucoup s’approchent, nous posent des questions, regardent les documentaires, boivent de la tisane, rient et se mouillent à nos côtés.

La libération est patiente; ça, on commence à le comprendre, et chacune des graines que nous sommes germe quand arrive son moment.

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Le deuxième jour, nous nous donnons rendez-vous à l’espace Contracultural El Motín pour un dîner solidaire, pour que, ventre plein et coeur content, nous puissions discuter et aussi réunir des fonds pour le processus de libération.

Les personnes arrivent peu à peu, et remplissent El Mottín d’une joyeuse chaleur. La parole va et vient et découvre les intentions de chacun et chacune; nous nous regardons droit dans les yeux et nous comprenons que nous avons besoin les un.es des autres; nous comprenons que les luttes dispersées s’évaporent mais que:  » Une main plus une main ne sont pas deux mains mais deux mains unies. Unis ta main aux nôtres pour que le monde ne soit pas entre quelques mains mais entre toutes les mains ».

On se rend compte que l’espoir de libérer est une préoccupation de beaucoup, mais qu’on doit se connaître tous et toutes pour articuler les processus; parce que les monopoles, propriétés et contrôles de la terre n’existent pas seulement dans le Nord du Cauca; parce que dans les villes nous sommes piégé.es entre l’asphalte et la pollution, et que en-dessous il y a la terre-territoire que nous devons commencer et continuer à libérer collectivement, en communauté, en équipe.

Pendant qu’on savoure la paella et le gâteau de banane plantain, il se passe tout un tas de trucs: joie enfantine, rires, piment, anecdote, musique qui nous fait chanter, documentaires sur les différentes luttes indigènes… bon mais, on veut pas vous faire plus envie; promis, la prochaine fois on vous invite!

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Et voilà qu’arrive la Minga de travail (chantier collectif): de retour au quartier, nous nous retrouvons pour créer des espaces alternatifs où travailler la terre, parce que c’est important de commencer à semer des aliments de première nécessité -de ceux qui, aujourd’hui, sont blindés de fertilisants et pesticides toxiques la plupart du temps. Nous semons pour créer une autonomie alimentaire qui nous permette de choisir ce que nous voulons manger. Nous semons pour nous libérer de l’imposture consumériste, et pour revenir à la nourriture naturelle.

Nous nous mettons au travail et nous préparons tout pour pouvoir semer: les planches, les paniers, les semis, le plastique. Puis, de manière super-artisanale mais avec la meilleure intention du monde, nous construisons les structures pour la banque de graines propres et locales: des boîtes de bois et une serre.

Nous ramassons ensuite ce que nous appelons à mauvais escient les déchets, mais qui sont pour nous le matériel que nous offre la terre pour les transformer en engrais biologiques et propres comme le compost. On discute pendant le travail: de la facilité qui nous pousse parfois à acheter les produits chimiques des grandes marques, de comment commencer à récupérer les graines, des produits locaux, des produits traditionnels. Comme les plantes médicinales qui aident à fortifier notre santé et notre esprit. Nous terminons d’ailleurs la Minga avec une tisane d’herbes fraîche pour la soif, en regardant s’ouvrir de superbes fleurs, nos pensées, et l’espoir de libérer la Madre Tierra pour toujours.

Et quoi encore? Ben, tout ça vient juste de commencer, tout est encore à faire, et offrir nos mains et nos volontés pour libérer depuis nos pensées, notre ventre et notre territoire.

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