Libération de la Terre Mère: Le gouvernement continue d ́attaquer, la libération continue de libérer
On leur fait peur parce qu’on est heureux. Chaque fois qu ́ils nous voient nous fendre la poire sur les terres que nous sommes en train de libérer, ils nous envoient leur répression.
Dimanche dernier nous avons fait deux mingas (chantiers collectifs), une pour semer des aliments à Jaguito, et une pour faucher la canne à sucre à Chimán. Et bien sûr, la joie était au rendez-vous : on va pas à une libération pour souffrir mais pour passer un bon moment.
Mais le monstre capitaliste n ́aime pas le bonheur authentique, original, originaire, ça le gêne. Évidemment on ne parle pas ici du bonheur individuel, possessif, capitaliste, patriarcal. On parle du wët wët fxi’zenxi (wetwet fi-nzeñi), la vie savoureuse, vivre en harmonie avec tous les êtres vivants.
On était donc tout contents fauchant la canne à sucre sur la propriété de Chimán lorsque sont arrivés l’armée, la police et l’ESMAD (police anti-émeutes). D ́habitude, on aime bien aussi se battre contre le monstre, mais ce jour-là on a préféré ne pas aller à la confrontation, et c’est comme ça qu’ils ont capturé un des nôtres. Ils l’ont tabassé jusqu’à épuisement, puis ils l’ont emmené au poste de police, prêts à lui mettre sur le dos tout le poids de la loi, la leur, celle de la propriété privée. Dans notre loi à nous, le premier article dit « libérer la terre Mère ».
Lundi 6, nous sommes retourné.es à Chimán, cette fois-ci pour semer. Vers midi les forces oppressives de l ́Etat colombien sont arrivées et nous ont attaqué à coup de gaz et de balles. Cette fois-ci nous avons résisté. La communauté afro-descendante est venue nous soutenir. Plus tard, on a pu prendre le temps de discuter avec elles et eux, nos frères et soeurs, et ça nous a fait bien plaisir. Parce qu’entre gens du peuple, des peuples, on s ́entend bien.
Pendant ce temps, ce même lundi, nous affrontions dans les tribunaux l’Etat colombien et le pouvoir judiciaire, pour défendre notre compagnon détenu. Parce que comme chacun sait, le monstre étatique possède quatre pattes: ceux qui font les lois, ceux qui les font respecter, ceux qui les exécutent, et ceux qui les para-exécutent (on se réfère ici au pouvoir paramilitaire en Colombie). Toutes les quatre esclaves des grandes entreprises.
Au centre du tribunal, le camarade détenu et tuméfié paraissait un ecce homo, la figure du christ face à la foule après la flagellation (on est en pleine Semaine sainte après tout). Et comme nous aussi, nous avons nos propres lois, notre histoire, notre héritage ancestral, il y a eu comme un carambolage de locomotives. Ils n’ont pas pu faire autrement que de remettre le compagnon à nos autorités nasa, dans ce cas-là, le Cabildo indígena de Lopezadentro.
Heureux de semer, de nous battre dans les champs de canne à sucre et dans les tribunaux, nous sommes rentré.es à la communauté. Une fois de plus, ils n’ont pas réussi à nous expulser.
Depuis que le monstre a donné l’ordre mondial de tout arrêter, la Libération s’est attelée aux labeurs de préparer des engrais biologiques, semer des aliments dans de nouveaux potagers, faucher la canne à sucre sur plusieurs propriétés, prendre soin et améliorer les potagers déjà existants, organiser des trocs et des marchés au sein de la Libération et avec les hameaux alentours, commencer à s’approprier des technologies écologiques, et préparer les prochaines actions à venir.
Du côté du gouvernement, le président est très absorbé par une éventuelle attaque du Vénézuela. Très appliqué là-bas, incompétent ici. Le monstre tente de serrer les vis, sa machine est en train de se casser la figure, on le voit se débattre pour ne pas couler.
De nombreuses luttes parviennent à désobéir à l’ordre venu d’en haut. Sans négliger la santé, elles continuent leurs cheminements. Certaines, au risque de leur liberté, de leur vie; le personnel de santé, prenant son courage à deux mains dans ce système de santé en toc que le monstre leur a laissé, éteint l’incendie avec des verres d’eaau.
Nous, ces jours-ci, on continue d’être heureux. Ce n’est pas que toute cette situation nous laisse indifférent.es. On l’a déjà dit dans notre émission de radio Vamos al Corte, ça nous fait mal de savoir que les gens souffrent dans les villes, les pauvres comme les riches. Au point que le monstre les touche directement. Qui aurait imaginé Boris Johnson en soins intensifs ? Toni Blair, son prédécesseur, avait soutenu l’invasion de l’Irak, tout comme Asnar en Espagne. Et maintenant, la bestiole que le capitalisme lui-même a créé explose à l ́intérieur de leurs corps comme une grenade dans les mains d ́un général.
Nous n’allons pas nous arrêter. Libérer la Terre Mère, c’est cheminer dans la joie. Cheminer dans (et non vers) le wët wët fxi’zenxi. On ne peut pas libérer dans l’abattement, dans la dépression. Nouslibérons pour laisser derrière nous cinq longs siècles de solitude et de tristesse.
Pendant qu’ils nous confinent, pendant qu’ils nous dépriment et nous tiennent tranquilles avec la peur, ils en profitent pour huiler la machine, pour se frotter les mains, et récolter des dollars. Alors qu’est ce qu’il nous reste ? Pendant qu’ils mettent en marche leur offensive, nous nous maintenons à l’offensive. Dans une rébellion joyeuse et en prenant soin les un.es des autres. Être ou ne pas être, ça n’a jamais été aussi clair que maintenant.
On continuera nos mingas, éparpillant nos grands éclats de rire dans le vent. Prenez-le comme un geste de gratitude envers lui, parce que lundi, à Chimàn, c’est lui qui renvoyait tout le gaz sur les soldats et l’ESMAD.
Proceso de liberación de la Madre Tierra
Norte del Cauca, Colombia.