Troisième Marche des Aliments: trois tonnes d´affection pour les communautés du quartier d´Agua Blanca de Cali

Frères et soeurs,
Nous sommes le Processus de Libération de la Madre Tierra
de Colombie, Nord du Cauca; Peuple Nasa.

Cette semaine, dans les quartiers populaires,
les gens ont explosé de colère,
cherchant de quoi manger,
cherchant seulement à vivre, à survivre.
La faim grandit dans les villes-cités,
et se soulève chaque jour avec plus d’intensité.
Le monstre capitaliste fait taire leur rage :
à coups de balles et de gaz il leur fait barrage.

C’est pour cela que nous avons décidé
d’en direction de Cali nous diriger
et mettre en branle, ami.es et compagnons,
La Marche des Aliments- Troisième édition.

Nous ne sommes ni État, ni ONG,
nous ne faisons partie d’aucun décret.
Nous ne cherchons ni vote ni médaillon;
Nous sommes, comme vous, des communautés
des gens, comme vous, qui souffrons et savourons.
Nous ne nous laissons pas faire
et luttons contre ce système mortifère.
Nous occupons les monocultures dans la vallée,
les étendues de canne à sucre, depuis cinq années.
Nous fauchons la canne pour planter de quoi manger,
regarder pousser la forêt, les plantes, les fougères,
et contempler le retour de la vie de la Terre.

Rien de nouveau pour nous, ici,
ni le confinement, ni la faim, ni les épidémies.
Cela fait 500 ans que nous devons affronter
les maladies qu’ils importent pour nous décimer ;
nous sommes les survivant.es des virus et des armées.
Cela fait 300 ans que nous vivons emprisonné.es
sur de petits bouts de terre nommés “resguardos”
pendant que l’agro-industrie gave la vallée
de canne à sucre pour des bénéfices en hausse.
Nous avons subi de longues famines
alors que les riches familles citadines
se gavent de luxe et dilapident, radines.
Puis nous lancent les miettes, nous méprisent :
“voilà vos droits”, c’est ce qu’ils disent.

Ces derniers temps, l’État s’applique
principalement et de manière méthodique
à mettre des bâtons dans les roues
du personnel qui lutte dans les hôpitaux
pour tenter de mettre le virus KO.
Ils en seraient déjà venus à bout
s’ils ne devaient pas affronter
les mesures, et les décrets,
la bureaucratie et Duque,
les technocrates, la corruption
les banques et la police de la nation.
Voilà pourquoi on change son nom,
L’Étau colombien, nous l’appelerons.

Il se trouve donc que l’Étau colombien
et le Monstre capitaliste, son grand copain
profitent de la pandémie pour mettre le holà
aux mouvements qui luttent d’en bas.
Et pondre tranquillement des décrets et des lois
qui rendent les riches fous de joie
pendant qu’il envoie les gens a la casa
mourir de faim acculés et à l’étroit.
Ils resserrent les vis de la structure mondiale
pour ensuite empocher le total.
Aux corporations ils ouvrent les frontières
pour qu’elles s’empressent de râcler le fond
de l’immense marmite de la Terre ;
passer la planète au court-bouillon
et éradiquer ce qu’il reste de vie pour de bon.

Et nous allons nous laisser mourir de faim
alors que les stocks des supermarchés
sont remplis à sassiété ?
Et nous allons vivre asservis à perpétuité,
alors que quand nous savourons la liberté,
nous ne pouvons plus nous en passer ?

Notre apport simple ces derniers temps
a été de continuer de lutter et d’être contents ;
libérer la Terre Mère allégrement.
Nous sommes installées sur 12 propriétés
où la monoclture est quasi éradiquée,
et à la place pousse de quoi manger,
des animaux et des forêts.

Comme nous vous l’avons déjà raconté,
L’Étau colombien la semaine passée
est venu faire un tour dans nos contrées.
Le voilà entrer en scène : Ta ta ta tan !
On était à Chimán, et on fauchait la canne
quand sont arrivés l’ESMAD et l’armée,
et à coups de balles et de gaz nous ont attaqués.
Ils étaient lâchement retranchés
dans la villa de la propriété ;
et ce n’est pas une nouveauté.
Nos grands-parents, dans leur temps,
quand ils récupéraient les terres
aux mains des grands propriétaires
détruisaient d’abord la villa
pour éviter qu’ils ne les assaillent depuis là.

Et l’entreprise Asocaña
a demandé de resserer
l’Étau au président Duque,
et de traiter d’une main de fer
la Libération de la Terre Mère

C’est comme cela que les derniers mois,
les attaques augmentent sur les terres en libération.
L’armée et la guérilla s’y affrontent en combats,
les bombent explosent près de nos maisons :
voilà le “post-conflit” du Nord du Cauca.
Ils nous capturent, jugent et torturent,
détruisent les clôtures des pâtures ;
Ils enveniment nos potagers,
offrent des récompenses pour nous assassiner,
et lancent une proposition de négociation :
“vous signez, ou sinon…”

Nous ne signerons pas,
le seul accord accepté,
c’est la liberté de la Madre Tierra,
c’est-à-dire notre liberté,
la nôtre,
et celle de tous les êtres vivants.

Nous, libératrices et libérateurs,
nous venons vous partager
le petit peu que nous avons récolté
sur les terres en train d’être libérées
depuis cinq belles années.
La plus grande partie a été saccagée
par les soi-disant forces armées
à grand renfort de tanks, de tracteurs,
et de venin aspergé
par de petits avions zélés.

Mais même si sur les terres que nous libérons,
nos récoltes ont été détruites par l’Étau Colombien,
il en reste toujours cachées un peu dans les recoins.
Nous avons récolté ces quelques poignées,
et, avec les fruits des terres déjà libérées,
nous avons rempli un beau camion.
Et les collectifs de la ville de Cali,
si habitués à la lutte pour la vie,
ont récolté des dons et quelques sous
pour que nous partagions avec vous,
communautés de Cali,
familles du quartier d’Agua Blanca.

Tiens, voilà, compère,
comme disent nos grand-mères:
si y’en a pour deux, y’en a pour trois !
Et à Cali, même directive :
la guérison est collective !
Depuis les terres en libération du Nord du Cauca
arrive directement la Marcha de la Comida.
C’est une manière de dire :
Vous n’êtes pas seul.es,
on est ensemble,
on vous aime.

Et on le dit
concrètement
avec ce petit peu de :
manioc
citrons
bananes plantain
potirons
oranges
herbes aromatiques
maïs
riz.

Et puis aussi depuis ici,
ce lieu de la périphérie,
nous vous racontons et vous invitons
à la quatrième Rencontre Internationale
de Libérateurs et Libératrices de la Terre Mère
que nous organiserons en août 2021.
Nous y discuterons
des économies
depuis le peuple, les luttes, les mouvements.
Nous y concrétiserons
les économies pour la libération
les économies pour la vie.

Frères et soeurs, au plaisir !
Mais avant de vous laisser, juste vous dire
que notre lutte n’a rien de compliqué,
c’est tout simple et pas sorcier :
c’est juste qu’on aime vivre la vie
savoureusement et en harmonie
avec tous les autres êtres de la vie.

Nous luttons pour une planète
où il y a une place pour tous les êtres.

Nous nous en retournons à notre communauté
non sans avant nous excuser
du petit peu que nous avons amené ;
nous espérons pouvoir la prochaine fois
partager plus et dans plusieurs chivas.
Et si ça compense un peu,
nous vous dirons que,
quoi qu’il se passe,
vivant.es ou mort.es,
nous continuerons à libérer la Terre Mère.

Proceso de liberación de la Madre Tierra
Norte del Cauca, Colombia.

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